A Plouër sur Rance, Marc Didou fait trois propositions de sculpture qui montrent la persistance de ses recherches, les évolutions récentes des moyens qu’il met en œuvre et l'ampleur de son registre.
Echo contre ciel appartient à un ensemble développé depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, dans lequel la figure humaine prend part ouvertement du projet de l'artiste. La représentation passe par une vision de l'anatomie proche de l'antique, un "classicisme" résultant cependant d'un singulier détour par l'imagerie médicale. Cette mise à distance s'est comme imposée à l'artiste qui, depuis ses débuts se mesure avec bonheur, à la matière, à la technique et ce, souvent, à des échelles peu communes.
Sur la place de l’église de Plouër-sur-Rance, Echo contre ciel entretient un dialogue muet avec le contexte minéral du centre-ville, à la manière d’une œuvre inopinément sortie du musée pour s’exposer à ciel ouvert. La sculpture prend en apparence la forme d’un étagement structural des plus classiques. La tête de colosse réalisée en bronze est une stratigraphie, littéralement une superposition de couches, selon la technique mise au point par Marc Didou à partir de l’IRM. Chacun connaît la capacité de celle-ci à produire des images à la fois rigoureusement exactes et particulièrement abstraites, fragmentaires et déréalisées. Curieusement, l’effort que ces images commandent à la lecture, celui d’une reconstruction mentale, n’est pas si éloigné du processus-même de la sculpture qui, pour composer doit décomposer, pour tenir doit analyser tous les termes de l’équilibre.
La tête – le fragment de sculpture dit Marc Didou, légèrement inclinée et soutenue par deux mains jointes, est posée sur un socle d’acier oxydé dont le mode d’assemblage est volontairement apparent. S’ajoutent à ces forts éléments deux autres composantes aux qualités moins immédiatement perceptibles mais tout aussi primordiales : le son qui émane de la sculpture, la plaque d’inox poli miroir qui s’intercale à plat entre le socle et la figure. Le ciel est capté par la surface réfléchissante et met la tête, à l’évidence celle d’un personnage pensif, comme en suspens entre deux voutes célestes tandis que l’attention du spectateur est requise par le matériau sonore qui agit comme la quatrième dimension de la sculpture. Volonté de transporter la sculpture au-delà de ses spécificités, d’amplifier son pouvoir d’évocation, Echo contre ciel entremêle un jeu subtil de translations que redouble son titre, étrange et poétique.
In situ, bidimensionnelle, dotée de surcroît d’une valeur d’usage, celle d’un portail à deux battants Junon (Spectrale) semble appartenir à une toute autre catégorie de sculptures. Elle définit un dehors, un dedans, elle est un seuil qui, de façon plus ou moins évidente, indique au spectateur, au promeneur, qu’au passage de ce seuil, sa condition va changer. Par son dispositif, simple et efficace, Marc Didou, invite à une expérience décrite par la psychanalyse comme la vision scopique, notion qui propose de différencier vision et regard, de dissocier le strict phénomène physique, du plaisir et de l’envie de regarder. En renversant les codes de la perception - la vision de loin rend l’image précise tandis que le rapprochement la rend indécise, inintelligible -, Junon (Spectrale) est un jeu, une œuvre généreuse qui donne à celui qui l’expérimente un rôle inédit, celui de co-constructeur de l’image, lui confie ainsi le pouvoir de figurer le beau et austère visage de Junon, ou celui de le laisser à l’état latent, comme une promesse. Cette proposition est liée aux phénomènes d’anamorphose dont s’inspirent de nombreuses sculptures récentes de l’artiste – au nombre desquelles Echo contre ciel ; elle montre également comment Marc Didou explore le rapport entre la sculpture et la photographie – une longue histoire depuis l’invention de celle-ci, par l’enregistrement du réel, le réfléchissement, la projection.
Avec Pipeline fossile, issu de la série des Oléoducs, Marc Didou parvient à une étape importante de ses recherches. Sa pratique initiale de métal soudé, à échelle variable mais souvent monumentale, a donné lieu au fil des années à une production marquée par une ambivalence des motifs, intriquant nature et culture. Depuis ses débuts de sculpteur, l’agencement de formes évoque tantôt la nature : prolifération de formes organiques, élan ascensionnel des forces élémentaires, tantôt l’action de l’homme, à travers l’adjonction insolite d’objets ou mobiliers vernaculaires. Tout l’œuvre exprime cette tension, le projet de lier le quotidien à une métaphysique. Ceci peut expliquer aussi qu’à rebours de nombre de ses contemporains, Marc Didou n’oppose pas l’art et la technique. L’emploi de matériaux et factures qui impressionnent, au sens le plus concret du terme, n’est pas une fin en soi ni le fait d’un artiste Vulcain qui s’emploierait à une démonstration de force : il s’agit pour lui d’une idée de la sculpture dont le poids et la taille spécifiques sont à la juste mesure du propos.
Par la puissance métaphorique de l’objet initial et sa transformation, la série des Oléoducs synthétise diverses voies empruntées au cours des années quatre-vingt-dix et deux mille, et en souligne la cohérence. Trouvé par hasard, un "gisement" d’oléoducs a engendré une réflexion et la constitution d’un ensemble en développement. La découverte du pétrole, son importance stratégique ont dessiné au fil du XXème siècle une géographie particulière qui sépare le monde entre les pays producteurs et les pays consommateurs et dont les lignes de force sont constituées de ces milliers de kilomètres de canalisations sous haute surveillance. Détourné de sa fonction de transport, et de segment d’un réseau qui s’étend à tous les continents, l’objet n’en garde pas moins la mémoire. Sa forme simple est celle d’un fût dont la verticalité gît au sol. Par une suite d’interventions aussi longues que minutieuses : découpe en fragments de la totalité du tube, retournement des éléments ainsi obtenus, soudure de ceux-ci, l’oléoduc se mue en un tronc d’arbre. Ce détournement/retournement qui renvoie à la nature le conduit d’une énergie fossile s’apparente à une anamorphose au sens où il implique du regardeur une recomposition mentale du processus qui a abouti à l’apparition de la forme.
Une nouvelle fois, à travers ces trois œuvres récentes déployées à Plouër sur Rance à l’initiative de l’Art au fil de la Rance, Marc Didou confronte le spectateur à un oxymore, une alliance des contraires, riche de sens et propice aux sensations contrastées ; le recours à une technique ancestrale et éprouvante pour parler de la fragilité humaine, son devenir immatériel ; l’emploi de formes simples et tout autant symboliques pour saisir le monde et aborder les grandes interrogations humaines, en un mot : rendre visible l’invisible.
Catherine Elkar
Directrice du Frac Bretagne